Jacqueline de Quattro > Articles de presse  > Ces Violence domestique : l’insupportable lenteur de l’administration fédérale

Ces Violence domestique : l’insupportable lenteur de l’administration fédérale

Article paru dans le Matin dimanche le 22.06.2025

Faudra-t-il une nouvelle tragédie, à l’image de celle d’Epagny, pour que l’administration fédérale se décide enfin à agir ? Quand on voit avec quelle mauvaise volonté elle met en œuvre les décisions du Parlement, on peut se poser des questions.

Le Département de justice et police a demandé de prolonger de deux ans supplémentaires, le délai pour élaborer un projet à l’initiative « qui frappe part ». Une initiative que j’ai déposée avec ma collègue Léonore Porchet en 2021 déjà et qui a reçu un large soutien du Parlement. Quatre ans plus tard, toujours pas de loi à l’horizon. Cette passivité des services de la Confédération est insupportable pour toutes les victimes de la violence domestique. C’est indigne.

D’autant plus que les chiffres sont alarmants : depuis le début de 2025, 17 femmes sont décédées dans notre pays. Le dernier drame remonte à mercredi dans le canton de Soleure. Quant à la police, elle a enregistré 21127 infractions dans le domaine de la violence domestique en 2024. Ce qui se traduit par une augmentation de 6.1% par rapport à l’année précédente.

De leur côté, les centres d’aide aux victimes ont recensé une hausse de 5% des consultations l’année dernière. Pour la première fois, le nombre de cas a dépassé les 50’000 sur une année. La violence domestique est une douloureuse réalité qui fait désormais partie de notre quotidien.

Pour faire face à ce fléau qui ronge notre société, un dispositif a été trouvé : « qui frappe, part ». Il vise à expulser les auteurs plutôt que les victimes du domicile conjugal et à améliorer le suivi des auteurs, dans le but de limiter la récidive. Un instrument qui s’avère efficace, puisque les décisions d’éloignement ont été multipliées par dix rien que dans le canton de Vaud. Nous avons donc demandé au Conseil fédéral de s’inspirer de la loi vaudoise.

Grâce à une large alliance interpartis, portée par des femmes de tous les bords politiques, l’initiative a été adoptée par les deux Chambres. Nous avons été attentives à ce que l’expulsion de l’auteur ne soit pas un automatisme mais un principe avec des exceptions possibles. Il est donc difficilement compréhensible qu’une formulation aussi simple puisse justifier un délai de réponse aussi long. D’autant plus que la volonté du Parlement d’aller de l’avant est claire.

Ce manque de réactivité se retrouve aussi dans la mise en service du numéro d’urgence dédiée aux victimes de violences domestiques. Initialement prévue pour novembre 2025, elle a été repoussée par l’Office fédéral de la communication à mai 2026. Ce serait la faute à la complexité technique et à la création de bases légales. Difficile de le croire, au pays de l’innovation !

L’administration fédérale donne le sentiment de ne pas mesurer l’ampleur du phénomène. Elle traîne les pieds, tergiverse. C’est inacceptable. Certes, la Suisse aime cultiver l’art du perfectionnisme. Mais il y a des limites à ne pas dépasser. La douleur des victimes de la violence prime sur les tracasseries administratives.

Je maintiendrai la pression. La population attend des actes et non pas des justifications tirées par les cheveux. Le drame d’Epagny a suscité beaucoup d’émotion, de colère et d’indignation. Il y a eu une prise de conscience aussi bien au sein de nos concitoyens que du monde politique. Tous réclament davantage de mesures et de moyens au niveau de la prévention, de l’évaluation de risques et de la formation.

Les choses doivent changer. La législation être adaptée. L’Espagne nous montre que c’est possible. Elle a créé des outils pour accompagner et protéger les victimes de violences conjugales : tribunaux spéciaux, programme informatique. Ce pays consacre un milliard d’euros sur cinq ans à cette problématique. Il investit dans la sécurité de sa population. Et nous ?

Depuis son adhésion à la Convention d’Istanbul en 2018, la Suisse est tenue de mettre en place des solutions qui permettent aux femmes – mais aussi aux hommes et aux enfants – d’échapper à cette violence d’autant plus redoutable qu’elle est cachée et inavouable. « Qui frappe, part » est un des moyens d’y arriver.

Jacqueline de Quattro

Conseillère nationale