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Comment sauvegarder nos valeurs et nos intérêts dans un monde de plus en plus instable

Article paru dans Forum/sécurité avril 2024

Comment augmenter les capacités de notre défense ? L’architecture sécuritaire de la Suisse est-elle suffisamment robuste ? Ces questions sont devenues prioritaires depuis que la guerre en Ukraine a déstabilisé la situation internationale et fait craindre le pire. Force est de constater que nous sommes vulnérables. La stratégie du hérisson, qui consiste à ce que notre pays se défende et se protège de manière autonome, est dépassée et irréaliste. Elle ne correspond plus au contexte géopolitique actuel. Notre politique de sécurité n’a pas d’autre choix que de s’adapter aux nouvelles menaces.

Les événements de ces derniers mois montrent que la ligne de fracture entre le monde occidental et la Russie continue de se renforcer. Et ces tensions ne sont pas un phénomène à court terme. Vladimir Poutine est plus que jamais déterminé à conforter la puissance militaire de son pays. Il veut consolider une zone d’influence exclusive le long de la frontière de l’ancienne de l’Union soviétique en se focalisant pour l’instant sur l’Europe de l’Est et sur les Balkan. Le risque d’escalade est réel.

Par ailleurs, si Donald Trump est élu à la présidence des Etats-Unis, l’OTAN sera fragilisée. Le candidat républicain multiplie les attaques contre l’Alliance atlantique, encourageant même Poutine à agresser les pays européens qui ne consacrent pas au moins 2 % de leur PIB à la défense ! Il faut y ajouter le danger d’une invasion de Taïwan par les Chinois qui pourraient alors détourner les Américains de l’Europe pour voler au secours de la population taïwanaise.

N’en déplaise à la gauche et aux pacifistes, la loi du plus fort est de retour et a relancé le débat sur l’effet dissuasif. Nous sommes au cœur d’une confrontation internationale, dont les conséquences et les implications sont encore imprévisibles, aussi pour bien pour notre planète que pour notre pays. Il s’agit à présent de sauvegarder nos valeurs et nos intérêts dans un monde de plus en plus instable.

L’Europe l’a bien compris et indique la voie à suivre. En 2022, le vieux continent a dépensé 13% de plus pour ses armées, soit un montant de 480 milliards de dollars. De plus, une vingtaine de pays de l’OTAN atteindront cette année l’objectif de 2% de leur PIB en dépenses militaires. Et l’Union européenne vient d’annoncer qu’elle veut redynamiser son industrie de défense en la rendant plus compétitive et plus réactive.

Même l’Autriche, pays neutre comme la Suisse, a décidé en 2022 de majorer le budget de son armée. De 0,6% du PIB, il passera progressivement à 1,5% d’ici à 2027.  Notre voisin veut investir massivement, non seulement pour faire face aux nouvelles menaces mais aussi pour combler son retard et être en mesure de défendre une neutralité très chère aux Autrichiens.  Un exemple dont la Suisse devrait s’inspirer.

Avec la chute du Mur de Berlin, notre politique de sécurité et de défense a été négligée et reléguée au second plan tant au niveau financier que sur le plan de la capacité opérationnelle. Au cours des 20 dernières années, notre armée a dû se serrer la ceinture. Elle n’a cessé de perdre en moyens et en effectifs. Si nous voulons remplir pleinement le mandat constitutionnel, qui consiste à préserver la liberté, la sécurité et l’indépendance, nous devons prendre les mesures qui s’imposent.

La Suisse doit pouvoir disposer d’une armée bien formée et bien équipée. Il est impératif et urgent de moderniser nos structures, notre matériel et nos équipements. ll est en effet irresponsable que certains chars datent des années soixante et que la défense antiaérienne ne soit plus efficiente.  Par ailleurs, les anciens systèmes coûtent cher à l’entretien. Les pièces de rechange sont difficiles à trouver. Et plus nous attendons, plus la facture sera élevée.

Il est donc indispensable que l’armée obtienne le financement dont elle a besoin. C’est une priorité. Un premier pas a été fait dans ce sens. Le Conseil fédéral vient de demander 4,9 milliards pour équiper nos troupes et propose que le plafond de dépenses, s’élève à 25,8 milliards pour les années 2025-2028. Mais sur appel insistant de ce même Conseil fédéral, rappelant la situation financière de la Confédération, le Parlement a accepté de reporter à 2035 la hausse du budget de l’armée à un pour cent du produit intérieur brut (PIB).

Je regrette ce ralentissement de la croissance des dépenses, qui va pénaliser les investissements et les procédures d’acquisition. Selon les experts, l’armée perdra 2,6 milliards au cours de la prochaine législature. Il n’est par exemple pas certain que les obusiers automoteurs M109, qui arrivent en fin de vie, soient remplacés à temps. D’autres domaines comme la défense aérienne risquent aussi de faire les frais de ce report.

Certes, la montée en puissance de nos capacités de défense représente un coût. Mais la Confédération n’a pas un problème de recettes ; elle a un problème de dépenses. Il y a de nombreuses subventions qui doivent être remises en question. Maintenant. Il existe également des possibilités de faire des économies notamment dans le domaine de l’asile et du social, où il y a trop d’abus. Les montants à l’aide au développement doivent aussi être reconsidérés. Pour concrétiser ses objectifs, notre armée doit mettre en place une planification efficace et durable.

Autre avantage non négligeable : en dotant notre armée d’équipements technologies de pointe, nous redonnons l’envie à nos jeunes de porter l’uniforme, de s’investir pour la défense du pays. Car la Suisse a aussi un problème d’effectifs. 100’000 soldats ne suffisent pas comme l’a précisé le chef de l’armée Thomas Süssli. Nos forces doivent être portées à environ 120’000 hommes.

Une politique de sécurité tournée vers l’avenir passe aussi par le développement de la coopération militaire. Certes, il n’est pas question que la Suisse adhère à l’OTAN, même si elle participe déjà à des actions de maintien de la paix.

Notre pays peut cependant travailler de manière plus étroite avec l’Alliance atlantique dans le cadre de l’interopérabilité des forces armée : exercices militaires en commun, reprise des normes et procédures. A l’image de la Finlande et de la Suède, qui ont su collaborer intelligemment avec cette organisation militaire, nous disposons encore d’une marge de manœuvre, toujours dans le respect de la neutralité.

Je vais donc m’opposer fermement à la motion de la gauche, des Verts et de l’UDC qui veut interdire à notre armée d’adhérer aux exercices de défense de l’OTAN. Car cette collaboration permet à la Suisse de bénéficier d’un vaste réseau d’experts et d’accéder à des infrastructures indisponibles sur notre territoire. Elle ne se limite pas à un enrichissement mutuel, elle représente aussi une opportunité stratégique pour la Suisse de se positionner dans le paysage de la sécurité et de la défense globales, tout en renforçant sa propre capacité de résilience et d’innovation.

Il est également nécessaire d’œuvrer au renforcement du projet de coopération européenne (PESCO), qui pourrait offrir des opportunités à notre recherche et à notre industrie de défense. Toutes ces coopérations doivent être abordées sans tabou et sans œillère idéologique. La Suisse a besoin d’une vision pragmatique.

Si la guerre conventionnelle est de retour, de nouveaux conflits hybrides surgissent dans tous les espaces, dans tous les domaines, y compris Internet, les réseaux sociaux et l’information. Que ce soit le terrorisme, la désinformation, les attaques cyber, la Suisse n’est pas à l’abri de ces dangers, comme le prouvent les nombreuses cyberattaques en provenance de la Russie et de la Chine. Sans oublier toutes les menaces liées aux mutations globales, climatiques, énergétiques, technologiques, avec les risques de déstabilisation que ces bascules peuvent faire naître.

Enfin, la réforme de notre politique de sécurité exige une amélioration de la réflexion stratégique, afin d’anticiper les scénarios les plus dangereux et de détecter de manière précoce les menaces. Nous devons aussi optimiser la gestion de crise.

C’est le rôle du Conseil fédéral et du Parlement de créer les conditions permettant d’avoir les moyens de nos ambitions et de restaurer la confiance dans l’institution. C’est-à-dire renforcer notre armée, la rendre plus agile, lui redonner un nouveau souffle en privilégiant la rapidité des décisions et de l’action.  C’est le prix à payer pour garantir la montée en puissance de nos capacités de défense et assurer ainsi notre souveraineté, notre liberté et notre prospérité.

Jacqueline de Quattro
Conseillère nationale