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Le phénotypage pour rendre justice aux victimes 

Article paru dans la revue Forum Sécurité, en octobre 2021

Il y a six ans, une jeune femme était violée et blessée gravement à Emmen dans le canton de Lucerne. Le crime n’a jamais été élucidé, malgré l’analyse de 400 échantillons ADN. Or il existe des technologies particulièrement efficaces pour traquer les criminels. Il s’agit du phénotyage, qui a déjà fait la preuve de son efficacité dans plusieurs Etats, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne, en France et aux Etats-Unis. Le Conseil fédéral a décidé d’inscrire dans la loi ce nouvel instrument d’investigation permettant ainsi d’élargir le profilage.

La police doit pouvoir interpeller le plus rapidement possible les auteurs de crimes. Aujourd’hui seul le sexe de l’auteur présumé peut être déterminé à l’aide d’une trace d’ADN et uniquement dans certains cas. Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les profils ADN en 2005, la science a fait des progrès considérables. Le Conseil fédéral veut donc mettre avec raison les technologies du 21ème siècle au service des autorités de poursuites pénales.

Qu’est-ce que le phénotypage ? Cette technique est la caractérisation des traits apparents d’un individu qui sont présents dans son génotype. A partir d’une trace ADN, le phénotypage peut fournir de précieux indices aux autorités de poursuites pénale dans leur travail d’investigation. En plus du sexe de l’auteur d’un crime, elles pourront à l’avenir déceler la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, l’âge et l’origine.

Ces indices viendront compléter les déclarations de témoins ou l’analyse de données numériques. Ils contribueront à obtenir une image plus précise d’une personne recherchée et encore inconnue. Le coupable sera trouvé plus vite et il y aura moins de risques d’arrêter des innocents.

Le phénotypage ne constitue pas un moyen de preuve mais redonne une direction à une enquête qui piétine. Il a aussi l’avantage de réduire le cercle des personnes soumises à un prélèvement d’échantillon lors d’une enquête de grande envergure.

Prenez l’affaire du viol et du meurtre de Marianne Vaatstra aux Pays-Bas en 1999, alors qu’elle avait 16 ans. Le premier soupçon s’est porté sur les résidents d’un centre de requérants d’asile situé à proximité. Une enquête ADN de grande envergure dans le périmètre du lieu de l’infraction n’a donné aucun résultat. Les autorités de poursuite pénale ont décidé, alors pour la toute première fois, de phénotyper les traces de sang et de sperme prélevé. Il s’est avéré que l’auteur venait d’Europe occidentale et avait la peau blanche. Le coupable a fini par être identifié, les requérants innocentés.

Autre cas révélateur : la concordance entre deux profils d’ADN établis à partir de traces de sperme a montré que la même personne était l’auteur de deux agressions sexuelles. Une victime avait décrit l’individu comme provenant d’Afrique de l’Ouest alors que l’autre était convaincue qu’il s’agissait d’un Indien. Le phénotypage a indiqué que l’auteur était très probablement d’origine indienne. Ces informations ont aidé la police à se limiter au bon groupe de personnes.

Des garde-fous mis en place

Le phénotypage est un processus scientifique. Les indications obtenues grâce à cette méthode sont énumérées de manière exhaustive dans la loi soit : la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, l’origine biogéographique et l’âge. Par ailleurs, des garde-fous ont été mis en place. Les résultats du phénotypage ne pourront servir aux enquêtes que dans une affaire précise en cours et ne seront pas enregistrés dans la banque de données fondée sur les profils d’ADN.

Cet instrument ne pourra être utilisé que pour élucider des crimes, soit les infractions passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans, comme le viol ou l’assassinat. Il ne sera donc pas possible d’y recourir pour élucider des délits, comme les dommages à la propriété. La mesure sera ordonnée au surplus par le ministère public.

Malgré ces précautions, le phénotypage suscite une certaine méfiance de la part de la gauche et des verts. Ils redoutent l’utilisation disproportionnée de cet instrument et le risque d’atteinte aux droits fondamentaux. Ils craignent des discriminations, notamment un profilage racial.  Car ils estiment que c’est un processus peu objectif qui ne se base que sur des probabilités.

L’argument raciste n’est pas fondé. Il n’est pas question de harceler arbitrairement une personne de couleur. La commission fédérale contre le racisme a d’ailleurs été consultée et elle reconnaît que le phénotypage est un outil utile à des fins d’enquête. De plus, les corps de police sont formés à cette technique et en connaissent les limites. Les droits et les libertés ne sont donc pas restreintes.

Une telle méfiance de la part des opposants est difficile à comprendre et ne se justifie pas.  Au début les empreintes digitales ont aussi suscité de nombreuses craintes, à tort, comme nous le savons aujourd’hui. Les mesures proposées sont efficaces et renforceront la sécurité de la population. La nouvelle règlementation permet de resserrer les mailles du filet autour des assassins et des violeurs.

La recherche en parentèle

Un autre point important du projet du Conseil fédéral concerne la recherche en parentèle. Si la comparaison d’une trace d’ADN dans la banque de données ad hoc n’aboutit à aucune concordance et que l’enquête est au point mort, cet instrument est une possibilité supplémentaire d’identifier la personne ayant laissé la trace d’ADN sur les lieux de l’infraction.

Suite à une décision du Tribunal pénal fédéral de 2015, les enquêteurs peuvent déjà utiliser cette méthode. Désormais, elle sera formellement inscrite dans la loi.

Les délais d’effacement des profils d’ADN dans la banque de données ad hoc font aussi l’objet d’une modification. Ils ne dépendront plus temporellement de l’exécution de la sanction. Mais ils seront fixés une fois pour toutes dans le jugement et ne seront plus modifiés. La procédure d’effacement en sera grandement simplifiée et fiabilisée.

En ces temps d’incertitudes, la Suisse a plus que jamais besoin de stabilité. Or l’insécurité grandit partout dans le monde, y compris dans notre pays. La population est en droit d’attendre de ses autorités qu’elles la protègent et poursuivent les criminels.

C’est ce qu’a fait le Conseil, en proposant ces modifications de la loi sur l’ADN. Et en mai lors de la session extraordinaire, le Conseil National a été convaincu par les arguments du gouvernement et lui a donné son feu vert par 125 voix contre 54 et 12 abstentions. Il appartient encore au Conseil des Etats de se prononcer

L’objectif de cette révision de la loi sur l’ADN est davantage de sécurité, la recherche de la vérité, la découverte de l’auteur du crime.  Nous voulons pouvoir utiliser les nouvelles possibilités d’investigation à bon escient, et selon le principe de la légalité et de la proportionnalité. La justice doit être rendue, ne serait-ce que par respect pour les victimes.

Jacqueline de Quattro
Conseillère nationale