Violence domestique : légiférer au lieu de fermer les yeux
Article paru dans le Temps, le 12 février 2021La violence domestique est un fléau qui gangrène la société. En Suisse aussi. Il suffit de lire les dernières statistiques fédérales pour s’en rendre compte, En 2019, 19 669 cas de violence domestique ont été enregistrés dans notre pays. Soit une hausse de 6,2% par rapport à l’année précédente. Sur 46 homicides, 29 résultaient de la violence domestique, soit plus de la moitié. La seconde vague du Covid a encore fait grimper ces chiffres. C’est ce qu’observent de nombreux cantons. Ils constatent une explosion des cas en raison notamment des fortes tensions dues aux restrictions de liberté et aux difficultés économiques et financières. Non, la violence domestique ne diminue pas. Bien au contraire, elle augmente.
La violence domestique, qu’elle soit physique, sexuelle ou psychologique, touche avant tout les femmes mais pas uniquement. Des hommes aussi et de nombreux enfants. Elle frappe toutes les couches sociales et toutes les générations. Une violence taboue car elle sévit bien cachée entre les quatre murs d’un foyer, dans l’intimité d’une famille. Or nous n’avons pas le droit de fermer les yeux, car il s’agit d’un problème de santé et de sécurité publiques.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé le 8 mars dernier, au Conseil national, avec ma collègue Léonore Porchet, une initiative parlementaire visant à accroître la protection des victimes et à renforcer le suivi des auteurs afin de limiter la récidive. Notre initiative est soutenue par des conseillères nationales de tous les partis. Un symbole très fort en cette année du 50ème anniversaire du droit de vote des femmes.
Nous demandons à la Confédération de s’inspirer du dispositif que j’ai élaboré comme conseillère d’Etat dans le canton de Vaud. La loi vaudoise, adoptée à l‘unanimité par le Grand Conseil en 2017 repose sur deux principes : « qui frappe part » et une meilleure prise en charge, non seulement de la victime mais aussi de l’auteur. Ces mesures se sont avérées efficaces, puisque le nombre des décisions d’éloignement a été multiplié par dix.
Le principe « qui frappe part » est aujourd’hui appliqué dans les cantons romands ainsi qu’à St-Gall, Nidwald et Obwald. Nous voulons l’inscrire dans le Code civil afin que tous les cantons prononcent l’expulsion immédiate de l’auteur du logement commun. Ce qui permettra de mettre fin à la double peine des victimes qui ont été violentées et qui doivent en plus quitter leur foyer à la hâte, avec quelques habits et le sac d’école des enfants. Pendant ce temps, l’auteur reste confortablement à la maison, attendant le retour, souvent difficile, de la victime.
Pour éviter les récidives, le canton de Vaud a instauré un entretien socio-éducatif obligatoire afin que les auteurs puissent parler, être entendus et comprendre qu’il y a d’autres moyens de régler un litige que la violence. Au besoin, le juge peut ordonner un suivi thérapeutique. Cet encadrement par des professionnels les aidera à sortir de la spirale de la violence.
Car lorsque le couple se retrouve – et il le fait très souvent -, il y a d’abord une période de réconciliation, voire une nouvelle lune de miel, puis les violences reprennent de plus belle et montent en puissance. Elles peuvent commencer par des contrôles, du dénigrement, des insultes et des menaces pour aller jusqu’aux coups et finir par la mort.
Or la violence domestique n’est pas une fatalité. Nous devons protéger les personnes dans leur intégrité physique et psychique aussi bien dans la rue qu’à la maison. Cette responsabilité découle aussi des engagements internationaux pris par notre pays. La Convention d’Istanbul, ratifiée par la Suisse, réclame justement la mise en œuvre de mesures visant à protéger les victimes.
Aujourd’hui, au sein même de leur foyer qui est censé les protéger, de nombreuses personnes vivent un enfer au quotidien, avec des conséquences qui peuvent s’avérer dramatiques. Nous ne pouvons pas les ignorer. Car le respect de l’intégrité physique et psychique est un droit et non un privilège. Au courage des victimes, nous ne pouvons pas opposer la lâcheté du silence.
Jacqueline de Quattro
Conseillère nationale